Écosocialisme, communisme, autogestion… Pour quel projet de société nous battons-nous ?

Nous reproduisons ci-dessous l’intervention d’un de nos camarades à l’Université d’été du NPA 2022 dans l’atelier intitulé “Écosocialisme, communisme, autogestion… Pour quel projet de société nous battons-nous ?”.

 

Introduction

Marx qui disait qu’« une idée devient une force lorsqu’elle s’empare des masses ».

Pour Marx la théorie était tout le contraire d’une incantation. Malheureusement le spectre du communisme ne hante plus l’Europe. L’idée du communisme a été fortement décrédibilisée par les bureaucraties staliniennes du 20ème siècle et par la chute de l’URSS. Nous devons donc être capables de populariser nos idées et d’esquisser les traits dune société communiste qui serait adaptée au 21ème siècle. Nous devons assumer et défendre un projet de société qui soit

  1. Crédible
  2. Désirable

Cela ne signifie pas qu’il faut tout définir dans les moindres détails. Mais il nous faut un programme de transition, qui fasse le pont entre les revendications actuelles des classes populaires et un gouvernement des travailleurs. Un tel gouvernement est en effet une étape centrale pour prendre le pouvoir et avancer vers la mise en place de notre projet communiste.

Nous ne devons pas avoir un programme juste plus à gauche que celui de la France Insoumise en proposant par exemple un SMIC plus élevé. Entre les réformistes et nous ce ne doit pas être une différence de degré mais de nature !

Seul un programme structuré et cohérent qui propose un modèle de société alternatif et une stratégie pour y parvenir permettrait de nous démarquer du programme keynésien de Mélenchon. En effet, les mesures d’urgences semblent parfois utopistes et ne permettent pas de convaincre car elles ne sont pas jugées crédibles. De plus elles ne permettent pas de faire le pont avec notre projet communiste car elles laissent parfois croire que certains problèmes pourraient se régler sous le capitalisme.

Cette intervention est structurée en 4 axes centraux pour un programme :

-la question de la démocratie et donc de l’auto-organisation ou autogestion,

-la question économique, donc de la socialisation et de la planification,

-la question de l’écologie et donc de l’écosocialisme et de la décroissance,

-la question des oppressions spécifiques (féminisme, antiracisme) et donc de la notion de reproduction sociale.

Il faudrait rajouter la dimension internationaliste qui ne sera pas traité ici.

 

Démocratie, auto-organisation et autogestion

Un des axes centraux de notre programme doit être la question de l’auto-organisation (ou autogestion). Notre conception de la démocratie est une démocratie ouvrière qui ne se confond ni avec la démocratie bourgeoise actuelle ni avec la bureaucratie stalinienne des prétendus états communistes du 20ème siècle qui ont concentré la gestion et le contrôle des moyens de production dans les mains d’une bureaucratie corrompue et privilégiée.

Il s’agit au contraire de placer au cœur de notre projet les dimensions de liberté, de choix et de contrôle des travailleurs sur l’organisation de leur travail. Il faut introduire la politique et donc la démocratie sur les lieux de travail, il faut dé-professionnaliser la politique par des mandatements d’élus révocables. Il faut développer de nouvelles institutions comme des AG ou des conseils d’usine et de quartier (soviet) qui seraient ainsi des organes de démocratie directe du pouvoir populaire.

Cela peut nous permettre de dialoguer avec les nombreux gilets jaunes qui étaient avides de discussions et de propositions sur les questions démocratiques. Ainsi nous devons reprendre les éléments positifs du RIC dans notre programme tout en en expliquant les limites de la mise en place d’une telle mesure sans auto-organisation ni gouvernement des travailleurs.

Il ne s’agit par ailleurs pas juste de changer de numéro de république en se plaçant dans la continuité de la république française bourgeoise et colonialiste mais bel et bien de créer de nouvelles institutions sur un modèle réactualisé de la république sociale de la commune de Paris. Une démocratie qui émergerait nécessairement de mobilisations massives, et dont les organes de structuration et d’auto-organisation viendront doubler puis remplacer les institutions actuelles et mandateront ainsi un gouvernement des travailleurs pour sortir du capitalisme.

L’articulation entre les oppressions et la démocratie doit aussi être prise en compte. La base de l’oppression sexiste et raciste est matérielle, mais l’idéologie existe aussi, elle pèse lourdement et perdurera même après la prise du pouvoir par un gouvernement des travailleurs. L’auto-organisation des opprimés d’un point de vue du genre et de la race est nécessaire et le sera donc encore après la révolution.

Notre tradition militante est forte d’expérience en la matière. Trotsky défendait dans les années 30 le droit à lauto-détermination des noir américains, il disait même que « les ouvriers blancs doivent aller à [la] rencontre [des ouvriers noirs] et leur dire : “Quand vous voudrez vous séparer, vous aurez notre soutien” ».

De nos jours nous devons à notre tour élaborer des revendications transitoires face à la question brulante du racisme et des violences policières. Nous devons mettre au cœur de nos revendications immédiates le retrait des lois islamophobes, comme la loi sur le port du voile à l’école, la suppression de la BAC, le désarmement de la police, la mise en place d’une structure autonome et indépendante de contrôle de la police, …

Ces revendications doivent être articulés à notre projet révolutionnaire qui nécessitera la destruction de tous les corps de répressions actuels comme la police (et pas que de la BAC). Mais il faut expliquer par quoi ces corps seront remplacés. Certaines missions aujourd’hui dévolues à la police disparaitrons (contrôles facies et saisies de cannabis sur des jeunes de quartiers populaires) d’autres seraient assurées par des collectifs de quartiers (sécurité routière, …) et d’autres (comme la lutte contre les violences faites aux femmes) seront déléguées à d’autres institutions spécifiques formées et féministes.

 

Economie, socialisation et planification

L’inflation actuelle est due à la hausse des prix de l’énergie et des transports et à la désorganisation des chaînes de production qui fait suite à la crise sanitaire et la guerre en Ukraine. Mais l’inflation s’inscrit dans un contexte de crise structurelle du capitalisme.

En réponse à ces crises, la gauche réformiste antilibérale préconise des remèdes de type keynésiens voués à l’échec. Ces remèdes sont fondés sur l’idée que la hausse de la demande et des salaires pourrait à elle seule résoudre la crise en relançant l’économie. Mais ces fausses solutions ne constituent pas une véritable alternative aux politiques d’austérités. Elles ne peuvent déboucher à terme que sur plus d’inflation ou de la stagflation comme ce fut le cas dans les années 70 ou à une panne de l’investissement capitaliste comme suite à relance de Mitterrand en 81.  C’est une illusion de croire que dans un capitalisme en crise, on puisse satisfaire de façon globale et durable les revendications des travailleurs. Dans la situation actuelle de faible profitabilité du capital, des mesures de relance keynésienne ne disposent que de très faibles marges de manœuvre pour être appliquées. En période de crise il n’y a pas toujours autant d’argent qu’on croit dans les caisses du patronat.

A rebours de ces théories donnant un rôle central à la sous consommation des masses, nous devons développer une analyse marxiste conséquente de la crise, qui met au centre la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Et nous devons donc articuler notre programme économique à la rupture avec la propriété capitaliste.

Pour la satisfaction de tous les besoins fondamentaux (alimentation, logement, etc.), on doit théoriser de façon construite et cohérente de nouvelles institutions communistes et la façon dont elles pourraient s’imposer à partir de ce qui existe aujourd’hui. Ces nouvelles institutions auraient pour objectif d’ouvrir une brèche dans le capitalisme. Mais nous devons expliquer que ces solutions ne peuvent pas coexister à moyen terme avec le mode de production capitaliste.

Par exemple, nous pouvons expliquer concrètement comment passer d’une économie capitaliste à une économie planifiée. Une piste de réflexion est l’extension du champ de la cotisation : c’est à dire la création d’unités de production (entreprises) non capitalistes, qui ne seraient viables que dans la mesure où elles ne seraient pas mises en concurrence avec les entreprises capitalistes. L’investissement et les salaires seraient financés par des caisses sectorielles d’investissement gérées par les représentants des travailleurs (cela fait écho à ce qui était prévu dans le projet initial de la Sécurité sociale, conçue comme institution de la classe ouvrière).

Il ne s’agit pas de faire croire que ces solutions partielles peuvent être mises en œuvre dans le cadre d’un capitalisme en crise : ces propositions ne peuvent qu’accroître la crise de rentabilité du capital car la cotisation est un prélèvement sur la plus-value. Nous ne devons donc pas tomber dans l’illusion réformiste du gradualisme et nous devons assumer le caractère révolutionnaire d’une telle politique. Ce projet de nouvelles caisses de la sécurité sociale va donc de pair avec le combat pour la conquête du pouvoir politique par les travailleurs.

De telles propositions concrètes sur la transformation révolutionnaire des structures économiques permettraient d’engager un débat sur comment faire face à la crise économique et rendre ainsi crédible nos mesures d’urgences. Cela nous permettrait aussi de dialoguer avec des personnalités politiques intéressantes comme Lordon qui propose une «garantie économique générale » ou Friot qui propose un « salaire à vie ».

 

Ecologie, écosocialisme et décroissance

La crise écologique ne se résoudra pas seulement par la socialisation de la production ! Mais également par l’adaptation de la production aux besoins réels de la population et par la prise en compte des contraintes écologiques, des ressources disponibles et de leur renouvellement. Un programme révolutionnaire doit évidemment défendre la planification écologique des grands secteurs de l’économie (agriculture, énergie, métallurgie, etc.). Mais un gouvernement des travailleurs ne pourrait se contenter de socialiser et se réapproprier l’appareil productif hérité du capitalisme (les usines). Il devrait restructurer l’appareil productif (c’est-à-dire réorienter de nombreuses productions, en diminuer voir en supprimer certaines au profit du développement d’autres). Notamment dans le domaine de l’énergie où il faudrait une reconversion massive des énergies du passé à commencer par le pétrole et le charbon en énergies renouvelables avec l’aide des divers progrès techniques.

Pour défendre un projet éco-socialiste crédible nous devons aussi mettre en avant notre anti-productivisme et même oser parfois parler de décroissance dans les secteurs où cela est nécessaire. Le projet écosocialiste est “décroissant” dans le sens où il s’oppose à l’obsession morbide de la croissance de la valeur d’échange et met en avant la valeur d’usage. Nous sommes pour la croissance des secteurs utiles pour le développement de l’immense majorité des pays du monde (santé, transports en commun à l’exception de l’aérien, éducation, culture, électrification, eau potable, agriculture…), mais en même temps la décroissance d’autres secteurs dont le développement est écologiquement insoutenable (transport individuel, emballages, avions …), et nous souhaitons même la disparition totale de certains secteurs sans utilité sociale (publicité, grand luxe, armement, …). La production matérielle, gonflée artificiellement par la logique du profit, décroîtra dans les pays riches : elle est insoutenable écologiquement et elle ne procure aucune satisfaction véritable. Les indicateurs, tels que le PIB, ne seront d’ailleurs plus des notions pertinentes pour évaluer la santé du système et le bien-être social et il nous faudra donc développer de nouveaux indicateurs.

 

Féminisme, anti-racisme et reproduction sociale

Le capitalisme est tout à la fois une domination de classe, de genre et de race. Il s’est appuyé pour se développer sur le patriarcat et le racisme qui lui préexistaient, et a été modelé par eux tout comme il les a reconfigurés. On est donc face à un système unitaire. Ce n’est donc pas seulement la socialisation et la restructuration de la production qu’il faut revendiquer, mais également la socialisation ou collectivisation des tâches reproductives (domestiques ou non, rémunérées ou non). Ces tâches domestiques sont aujourd’hui principalement prises en charge par les femmes et minorités de genre dans l’espace domestique et de plus en plus externalisées par leur transfert à des travailleur/se.s racisé.e.s et ubérisé.e.s. La collectivisation des tâches reproductives impliquera la création de nouveaux services publics et la mutualisation de services pris en charge par tou.te.s, notamment pour l’éducation des enfants, la prise en charge des personnes âgées, la mise en place de cantines et de lieux de tâches domestiques collectifs, avec une modification de l’organisation de nos logements et de nos lieux de vie individuels et collectifs.

 

Pour conclure, la tâche de notre parti est de réinsuffler un désir de communisme dans la société. Nous devons donner des pistes précises de la mise en œuvre de ce projet pour le rendre crédible afin que chacun puisse se représenter concrètement ce que serait une vraie société émancipée !

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