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SOURCE : NPA
Antoine Calvino est organisateur de fêtes et cofondateur du syndicat parisien Socle (Syndicat des organisateurs culturels et engagés) qui regroupe une trentaine de collectifs organisateurs de fêtes hors les murs. Le 16 janvier, le Socle participait à la Marche des libertés à Paris, mais ses trois chars ont été bloqués par la préfecture qui ne souhaitait pas entendre de techno dans la manifestation. Antoine nous raconte la frustration des fêtards en temps de covid et rappelle les revendications de son syndicat.
Est-ce que tu peux te présenter ?
La semaine je suis journaliste, le week-end je suis DJ et organisateur de fêtes gratuites dans les bois, les souterrains, les friches et les bateaux, depuis une dizaine d’années, avec mon collectif qui s’appelle Microclimat. On est une vingtaine, tous bénévoles, mais ça peut monter jusqu’à une centaine si la fête est particulièrement ambitieuse. Ce sont des fêtes ouvertes à tous les milieux, tous les âges. On choisit un thème et on développe une scénographie. Quand on est dans un parc ou un bois, on commence l’après-midi avec des enfants. Il y a des ateliers de clowns ou de guignols, une pataugeoire, parfois un copain qui fait des bulles géantes. La musique est plutôt tranquille, entre jazz et funk/disco. Le soir, on passe à la house et à la techno, on monte le son et on continue entre adultes consentants.
Qu’est-ce qui t’a amené à organiser ce type de fête ?
J’ai découvert le milieu techno au milieu des années 90. J’ai adoré la musique et l’esprit qui y régnait, et je n’ai jamais décroché. J’allais d’abord en rave, puis en free party, en club, en festival… En parallèle, je suis devenu journaliste spécialisé en culture et, forcément, dans les musiques électroniques. Au début des années 2000, j’organisais des soirées en club avec mon précédent collectif. C’était sympa, ça nous permettait de faire venir des artistes étrangers qu’on adorait. Mais les clubs c’est cher, c’est fliqué, on ne fait pas vraiment ce qu’on veut. Au bout d’un moment, c’est frustrant. Donc quand on a eu l’occasion de lancer un nouveau projet avec une nouvelle équipe, on a décidé de le faire en toute liberté.
Comment vous êtes-vous retrouvés à participer à des manifs ?
C’est la quatrième fois que nous montons un char dans une manifestation avec mon collectif. La première fois c’était il y a deux ans pour défendre les Murs à pêches, un jardin associatif de Montreuil menacé par la promotion immobilière. On a baladé 3 000 personnes dans les rues de Montreuil avec de la musique africaine, arabe et francophone, c’était génial. Puis il y a eu la Marche pour le climat l’an dernier qui était très bon enfant, la Marche pour les libertés en décembre qui s’est terminée au bout de 300 mètres dans une bagarre géante entre black blocks et police… On a remis ça le 16 janvier pour une nouvelle Marche des libertés avec notre syndicat Socle, qui regroupe une trentaine de collectifs organisateurs de fêtes hors les murs et qui était représenté par trois chars dont le nôtre, l’Union des collectifs festifs Lgbtq+ qui avait loué un énorme camion à plateau pour passer de la musique et des discours, une dizaine de chars de la scène free party regroupés au sein de la Coordination nationale des Sons… En plus de refuser la loi Sécurité globale, on exigeait que le jeune de 22 ans incarcéré depuis 15 jours pour avoir peut-être participé à la grosse free party du Nouvel An près de Rennes soit libéré (ce qui vient d’être fait), et on demandait qu’un protocole sanitaire strict soit mis en place pour pouvoir organiser des fêtes en plein air dès le printemps et pour que les lieux de culture puissent rouvrir peu à peu. Mais la police a bloqué nos chars avant de les saisir, puis de nous les rendre deux jours plus tard. Le préfet ne voulait pas de notre musique ! Mais on ne va pas lâcher l’affaire, on prépare une prochaine manifestation, soit pour le 30 janvier, soit pour le 6 mars, on est en train d’en discuter entre nous.
Comment vos collectifs sont-ils impactés par la crise sanitaire ?
Nous sommes tous à l’arrêt depuis un an. En ce qui concerne les collectifs du Socle, ce n’est pas réellement un problème économique puisque nous avons généralement un travail à côté. Enfin, sauf pour ceux qui sont DJ, musiciens ou techniciens du spectacle… Mais c’est avant tout une question de santé psychique. La fête est un mode de vie auquel nous consacrons tous nos week-ends. Là on est tous en manque de musique, de danse et de relations sociales. On tourne en rond chez nous comme des lions en cage.
Est-ce que vous avez reçu des aides de l’État ?
La plupart d’entre nous ne reçoivent rien car nous gagnons peu ou rien avec nos événements. Et ceux qui sont DJ gagnent rarement assez pour être intermittents. Seuls les musiciens et les techniciens qui ont fait suffisamment d’heures avant la crise touchent quelque chose. Cette cessation d’activités est donc pour la plupart d’entre nous synonyme de perte sèche. Mais nous ne réclamons rien. Juste un cadre pour organiser à nouveau des fêtes dès que ce sera possible, dans le respect d’un protocole sanitaire établi au préalable avec les pouvoirs publics. Nous demandons également plus de cohérence dans la façon dont nous sommes traités. Parfois nos événements sont interdits la veille de leur tenue parce que l’État a soudainement changé d’avis, sans tenir compte de l’investissement en temps ou en argent. L’un des collectifs du Socle qui s’est professionnalisé, Alter Paname, est à deux doigts de couler après une annulation l’été dernier à cause d’une telle volteface. On essaie de l’accompagner auprès des pouvoirs publics pour qu’il puisse obtenir un site et rattraper le coup dès la sortie du covid. Nous ne voulons plus de cette gestion incohérente, il faut que l’État s’engage et nous accompagne.
Vous considérez-vous comme des collectifs militants ?
Nous avons presque tous une sensibilité de gauche. Avec mon collectif nous avons organisé une fête à Notre-Dame-des-Landes pour soutenir les Zadistes pendant les expulsions il y a deux ans. Mais si les autres membres du Socle sont généralement de gauche également, on ne peut pas dire qu’ils font réellement de la politique. L’idée est déjà d’ouvrir nos événements à tous en évitant la sélection à l’entrée et en pratiquant des tarifs bon marché, mais aussi d’y lutter fermement contre le sexisme et l’homophobie. Parfois nous organisons des actions caritatives, mais c’est rare. En revanche, nous sommes à peu près tous d’accord contre les mesures prises ces dernières années contre les Gilets jaunes ou les mesures liberticides contenues par la loi Sécurité globale. Et donc aujourd’hui, nous protestons de façon concrète en descendant dans la rue.
Pourquoi est-ce si important de faire la fête ?
La fête est un lieu de vie, pour beaucoup d’entre nous c’est le moment qui justifie la semaine de labeur. On comprend qu’il faut actuellement limiter les interactions sociales, mais nous demandons également à ce que tout soit mis en place pour les rétablir dès que possible : possibilité d’utiliser des lieux en plein air ou bien aérés, masque, gel, présentation de test à l’entrée, tout est bon. Il n’y a pas de raison que seuls le travail et le commerce soient préservés. Beaucoup de gens souffrent de l’isolement. Les loisirs et la fête en particulier ne sont pas du tout des questions non essentielles. Nous en avons impérativement besoin pour notre équilibre psychique.
Propos recueillis par Drass Mustach