Actualité des médias : Macron serre la vis, médias en crise, harcèlement à France Télévisions…

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Acrimed

Ce numéro spécial de notre actualité des médias couvre la période de mars-avril, particulièrement riche en rebondissements malgré le confinement.

Du côté des journalistes

– « Un Président qui préfère la communication à l’information » – c’est le titre du communiqué courroucé de l’Association de la presse présidentielle (APP), composée des correspondants à l’Élysée chargés de suivre Emmanuel Macron (09/04). Le communiqué dénonce les conditions de la visite du président à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, dans le Val-de-Marne, alors qu’aucune rédaction n’avait été prévenue. Les seules images de la visite, particulièrement avantageuses pour Emmanuel Macron, ont été fournies par l’Élysée. L’APP ajoute que « ces dernières semaines, à plusieurs reprises, les équipes de l’Élysée ont également empêché ou interrompu des journalistes lors de prises de vue ou de son lors d’échanges du chef de l’État ». Selon un article du site Les Jours, la crise sanitaire aurait été le prétexte « d’un serrage de vis et d’un contrôle accru des images » avec un pool qui serait composé « de manière totalement opaque ». Les prises de parole publiques témoignent également d’un contrôle renforcé sur la communication gouvernementale, avec un seul ou une seule journaliste en charge d’interroger le Premier ministre lors de ses conférences de presse des 28 mars et 19 avril. La crise du coronavirus marque une nouvelle étape dans le rapport contrarié du pouvoir au droit d’informer [1].

– La France épinglée dans le classement de Reporters sans frontières (RSF)– L’ONG publiait le 21 avril son classement 2020 de la liberté de la presse [2]. Par rapport au classement 2019, la France « perd » 2 places, et pointe à une piteuse 34ème position, juste derrière la Slovaquie, la Slovénie, le Ghana et l’Afrique du Sud. L’ONG note que « l’année 2019 a été marquée par une hausse très inquiétante d’attaques et de pressions contre les journalistes. Nombre d’entre eux ont été blessés par les tirs de LBD (lanceurs de balles de défense) ou de gaz lacrymogène des forces de l’ordre, et agressés par des manifestants en colère pendant le mouvement des Gilets jaunes puis lors des manifestations contre la réforme des retraites ». Est également évoqué le « nombre croissant de cas d’intimidations judiciaires visant les journalistes d’investigation afin d’identifier leurs sources ».

– Clémentine Sarlat accuse le service des sports de France TV de harcèlement – Clémentine Sarlat, ex-journaliste à Stade 2 raconte, dans une interview à L’Équipe parue le 4 avril, avoir subi un harcèlement moral à son retour de congé maternité en janvier 2018. Faits rabaissants, bureau à part, blagues lourdes, graveleuses et misogynes. La journaliste a quitté le service des sports de France Télévisions à l’été 2018. Elle est aujourd’hui indépendante. Des faits établis qui ne sont malheureusement pas nouveaux au service des sports de France 2. D’autres témoignages font état de la manière dont les femmes ont été ostracisées, vilipendées et ridiculisées dans ce service essentiellement masculin où le sexisme fait des ravages. De plus si l’on est précaire et syndicaliste…

– Delphine Ernotte ne s’est pas présentée au tribunal – Le Canard enchaîné(04/03) relate que la présidente de France Télévisions, attendue le 27 février pour un procès au tribunal correctionnel où elle devait comparaître pour abus de CDD, ne s’est même pas présentée à la barre. Les plaignants, deux chefs opérateurs de France 3, qui avaient attaqué la dirigeante, avaient cumulé respectivement 25 ans et 21 ans de CDD ! La pratique est courante à France Télévisions. Des centaines de journalistes et personnels techniques ont d’ailleurs déjà gagné aux prud’hommes sur des abus de CDD avec l’appui des syndicats. Les avocats d’Ernotte avaient pourtant tout fait pour que le procès soit renvoyé au 9 juillet car elle brigue le renouvellement de son mandat à la tête du groupe public. Sa dernière proposition en date : un accord d’entreprise où les salariés permanents offriraient des jours de congé pour dédommager les précaires !

– La mobilisation se poursuit à Radio France – Depuis novembre, les salariés de la maison ronde, appuyés à des degrés divers par leurs syndicats se sont mobilisés dans une grève d’une ampleur inédite. C’est que le plan stratégique de la Présidente Sibyle Veil, « Radio France 2022 », qui prévoit entre autres joyeuses mesures un grand nombre de suppressions de poste est une conséquence directe de la baisse annoncée de la contribution de l’État [3]. Alors que la mobilisation avait été interrompue le 3 février pour cause de pandémie, la CGT avait annoncé une reprise du mouvement le 13 mars, avant d’annuler cet appel. La direction de Radio France avait alors accepté de suspendre les négociations sur les suppressions d’emploi. Suspension mais pas annulation : Sibyle Veil semble toujours aussi déterminée à faire mieux avec moins. Voilà ce qui a motivé une lettre ouverte de l’intersyndicale de Radio France adressée le 20 mai au ministre de la Culture qui se conclut en ces termes : « Au vu de la crise sanitaire, l’État quoi qu’il en coûte doit maintenir l’emploi partout où il est actionnaire ». Prenant ainsi au mot le « quoi qu’il en coute » du président Macron, les syndicats pointent le fait qu’ « il serait irresponsable, alors que l’ensemble des salariés démontre […] le potentiel de service public de la radio, de détruire ce qui fonctionne en supprimant […] plus de 250 emplois et jusqu’à un tiers des effectifs dans certains services. »

– Bagarre aux Échos sur les éditos de Le Boucher — Arrêt sur Images révèle, dans un article paru le 23 avril, l’exaspération de la rédaction des Échos face aux éditos très politiques d’Éric Le Boucher. Deux éditos particulièrement virulents, fustigeant notamment « la tentation d’un absolutisme syndical » qui empêcherait la France de revenir au travail, ont provoqué un tollé sur les réseaux sociaux, et l’ire de la rédaction contre cet éditocrate dont la voix s’accorde toujours plus à celle du gouvernement.

– Mort de Patrick Le Lay – Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, est mort le 18 mars à 77 ans. Ce breton d’origine, remarqué par Francis Bouygues lors de son entrée dans le groupe éponyme en 1981, se verra confier le dossier de privatisation de TF1. Une fois la mise raflée, il en occupera la présidence durant 20 ans (1988 – 2008). Au côté d’Étienne Mougeotte, il met en œuvre la stratégie du « tout pour l’audience » qui se traduit à l’antenne par un cocktail mêlant émissions racoleuses (« Perdu de vue », « Les Marches de la gloire », « Tout est possible »), flux incessant de séries américaines (« ad nauseam », précise Le Point), jeux à gogo et téléréalité, après un habile partenariat noué avec Endemol, le champion mondial du genre… Une offre culturelle qui vaudra à la chaine le surnom de « boites à cons » attribué par les « Guignols de l’Info ». Le Lay est également à l’origine de la création de la chaine d’info continue LCI ou de la locale TV Breizh, mais aussi du rachat de TMC et d’Eurosport (avant sa revente à Discover). Mais son manque de foi dans la télévision numérique terrestre (TNT) finira par l’écarter de la plus grande chaine de télévision européenne en termes de parts de marché, notamment publicitaires. Car s’il est une chose que l’on ne peut oublier, c’est cette phrase prononcée en 2004 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible [4] ». Et si Le Point trouverait « réducteur de ne retenir de Patrick Le Lay que [cette] phrase choc et maladroite », l’hebdomadaire poursuit tout de même, à propos de ce « manager brutal fidèle en amitié » qu’il ne faisait que « défini[r] alors ce qu’était le modèle de son entreprise : une machine à vendre des emplacements publicitaires au milieu de programmes qui dominaient outrageusement le paysage audiovisuel français ».

– Marcel Campion débourse 55 000 € pour s’offrir la une de VSD – Le Canard enchaîné du 11 mars nous a révélé que VSD a fait payer par Marcel Campion le tirage et 145 000 exemplaires supplémentaires de son numéro du mois de février. Le candidat à la mairie de Paris s’est offert grâce à Georges Ghosn, le patron de VSD, une jolie campagne de publicité. En Une du mensuel racheté à Prisma Média, il se voit attribué l’ « incroyable destin d’un enfant de la balle ». L’éditorial estime qu’il « mériterait de gérer la ville ». À l’intérieur du journal, neuf pages sont consacrées à sa gloire. Marcel Campion a fait un chèque de 55 922 €, en « impression et en papier ». Bien pratique pour un magazine en redressement judiciaire. Sans compter l’échange de bons procédés pour Ghosn, candidat avec 0,5% sur la liste aux municipales dans le Ve arrondissement de Paris… sur la liste de Marcel Campion !

Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires

– Lagardère galère, Bolloré et Arnault à l’affût — Arnaud Lagardère est en mauvaise posture : endetté jusqu’au cou, il est confronté à la fronde de l’actionnaire principal du groupe Lagardère, le fonds Amber Capital. Dès lors, il mobilise ses soutiens : fin février, il nommait Nicolas Sarkozy au Conseil de Surveillance du groupe propriétaire des journaux Paris MatchLe Journal du Dimanche et de la radio Europe 1. Une nomination qui n’est pas passée inaperçue : dans un communiqué publié le 3 mars, les sociétés des rédacteurs et des journalistes de ces médias s’inquiètent « du risque que cette nomination fait peser sur [leur] crédibilité ». Rappelant les mises en examens de l’ancien président, elles craignent « qu’il soit difficile pour [leur] rédaction de traiter cette actualité judiciaire en toute impartialité, dans le respect de la déontologie qui régit [leurs] métiers ». Arnaud Lagardère a sauvé in extremisson poste de dirigeant lors de l’assemblée générale du groupe le 5 mai, mais l’opération sauvetage se poursuit. Vincent Bolloré annonce le 21 avril une prise de participation — via Vivendi — à hauteur de 10,6 % du capital. Un soi-disant « placement financier » pour celui qui a déjà mis au pas le groupe Canal. Bernard Arnault vient quant à lui d’annoncer voler à la rescousse du fils de son grand ami Jean-Luc, en investissant 100 millions d’euros pour l’aider à payer ses dettes. Tant de générosité ne saurait être purement désintéressée… et le sauvetage du soldat Lagardère pourrait bien être le prétexte à un face-à-face Bolloré/Arnault qui pourrait secouer le petit monde des grands médias.

– Bolloré distribue les dividendes… tout en ayant recours aux deniers publics – Vivendi, la maison mère de Canal +, n’a pas renoncé à verser des dividendes selon un article du site en ligne Les Jours daté du 6 avril. L’entreprise va aussi racheter ses actions afin de faire artificiellement monter leur cours. Le groupe est, selon Les Jours, « en pleine forme financière », même si les revenus de Canal + sont en berne selon son directeur général. Le groupe va pourtant avoir recours au chômage partiel, via Canal +. Allant ainsi à l’encontre des recommandations du ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui avait demandé aux entreprises d’être « exemplaires » et de ne pas verser de dividendes en cas de recours aux deniers publics. Si les dirigeants de la chaîne ont choisi de baisser leur salaire de 25%, Les Jours rappelle que les salaires ne constituent qu’une partie de leur revenu (s’y ajoutent les primes, retraites chapeau, et autres rémunérations en actions). La décision a été critiquée par les syndicats de Canal +.

– Altice Médias met en place des mesures de chômage partiel : dans un article daté du 24 mars, Le Monde évoque la décision de Patrick Drahi de recourir lui aussi aux aides publiques pour faire face à la crise. En tout, 20% des 1400 salariés d’Altice Médias seront concernés par le chômage partiel. Si les rédactions de BFM-TV et Libération ne sont pas concernées, celles de BFM-Business et RMC Sport le sont. Les pigistes permanents n’ont, quant à eux, plus une seule pige, comme le déplore un journaliste rédacteur de RMC dans les colonnes du Monde.

– Le Point renfloué par Pinault – D’après Le Canard Enchaîné du 4 mars, Artémis, le groupe de François Pinault, a procédé à la recapitalisation de l’hebdomadaire Le Point à hauteur de 13 millions d’euros. Les Unes tapageuses sur « la menace de l’ultra-gauche » et « les territoires conquis de l’islamisme » n’auront visiblement pas permis de redresser les ventes de l’hebdomadaire…

– Proposition d’Aurore Bergé d’un crédit d’impôt sur les dépenses de publicité – Devant la chute des recettes publicitaires des médias due à la période de confinement, estimée par l’Institut Kantar Media à 70% sur avril (tous médias confondus), la députée LREM Aurore Bergé (rapporteure du projet de loi sur l’audiovisuel), a proposé la création d’un crédit d’impôt sur les dépenses des annonceurs. Une proposition problématique, dénoncée à juste titre par le collectif Résistance à l’agression publicitaire (RAP), dont nous avons reproduit le communiqué aux côtés de la tribune d’un groupe de médias indépendants. Nous sommes revenus sur cette question dans un article sur la presse imprimée au temps du coronavirus pour déplorer une telle initiative. Selon le RAP, en plus de participer à « la logique de mutualisation des coûts et de privatisation des profits », elle ne ferait ainsi que « renflouer un modèle déjà problématique ». On ne peut qu’insister sur le fait que repenser le modèle économique des médias, ce n’est pas s’en remettre « aux annonceurs [pour] sauver les médias » mais plutôt « sauver les médias des annonceurs ». Pour ce faire, des propositions ont été formulées par Acrimed et d’autres.

– Google propose à des médias français de rémunérer leurs contenus – Depuis l’adoption de la loi sur les droits voisins du 23 juillet 2019, qui, pour rappel, contraint les plateformes numériques à rémunérer les éditeurs de presse pour leurs extraits d’articles republiés sur leur site, Google n’a eu de cesse de refuser de payer. Par le biais d’accords commerciaux, l’entreprise américaine tente désormais de nouer des partenariats ad hoc avec certains titres (Le FigaroLes ÉchosLe ParisienLe MondeOuest-France) plutôt que d’appliquer la loi, comme l’évoque un article du Monde (03/03). Une initiative encore loin d’aboutir : de nombreux éditeurs critiquent le caractère opaque de la proposition et s’inquiètent des avantages qu’en retireront les grands éditeurs. L’Alliance de la presse d’information générale et le Syndicat des éditeurs de la presse magazine ont par ailleurs déposé un recours contre Google auprès de l’Autorité de la concurrence pour abus de position dominante. La décision a été rendue le 9 avril 2020. L’Autorité a reconnu que le géant américain du numérique était susceptible de détenir une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste et a répondu favorablement aux demandes des éditeurs de presse : ordonner à l’entreprise de proposer une offre tarifaire, désigner un expert pour encadrer les négociations et fixer un délai de trois mois pour les tenir. Sachant que la loi sur les droits voisins est applicable depuis le 24 octobre 2019… Le feuilleton n’est pas terminé.

– Dépôt de bilan de Presstalis – Pendant la période de confinement, la crise du principal distributeur de journaux en France se poursuit. Comme nous l’évoquions dans un article dédié à la crise de la presse imprimée au temps du coronavirus (05/05), « le dépôt de bilan de Presstalis, initialement prévu pour le 25 mars, a été reporté face à la crise sanitaire. Il est finalement intervenu le 20 avril, mais avec continuation d’activité, ce qui évite un arrêt de la distribution. » Depuis, les négociations se sont poursuivies entre Bercy, les quotidiens, les magazines, et le syndicat du livre (SGLCE-CGT), sans succès. C’est finalement le plan de sauvetage proposé in extremis par les éditeurs de quotidiens nationaux (autrement dit les milliardaires), dont le représentant est le patron du Monde Louis Dreyfus, qui a été retenu. Selon Challenges(15/05) ce plan prévoit « que le système de distribution de la presse ne change pas fondamentalement », étant donné qu’il était déjà très favorable aux quotidiens. Il faudra compter avec l’opposition d’une partie de la coopérative des magazines, des Messageries lyonnaises de la presse (concurrente de Presstalis), et des ouvriers du livre. Ces derniers sont déjà en grève dans plusieurs régions (Marseille, Lyon) depuis le 13 mai, en raison du licenciement de plus de 600 salariés, licenciements dus surtout à la suppression des dépôts de distribution, filiales de Presstalis. L’interdiction de quitter Presstalis, mise en place par l’ARCEP depuis décembre 2019 a cependant été levée pour les éditeurs de magazines qui font moins de cinq millions d’euros de chiffre d’affaires. Certains d’entre eux ont même fondé une nouvelle coopérative.

– La liquidation très politique de Paris-Normandie — Le feuilleton touche à sa fin à Paris-Normandie. L’entrepreneur normand Jean-Louis Louvel, qui a racheté le titre en 2017, avait surpris son monde en annonçant sa candidature aux élections municipales de Rouen [5]. Ce mélange des genres avait surpris la rédaction du titre, qui n’était finalement pas au bout de ses surprises… Le dernier journal quotidien de la région rouennaise a été mis en liquidation judiciaire le 21 avril, et Louvel s’enlève « une double épine du pied », selon les mots du journal d’investigation Le Poulpe (17/04). Financière d’abord, avec une dette de 3 millions d’euros, et politique ensuite, les ambitions du patron ayant été refroidies au premier tour des municipales (où il a terminé troisième avec 16% des voix, malgré le soutien de LREM, de LR et du Modem). Le titre ne devrait pas disparaître pour autant, trois offres de reprises ayant été déposées le 23 mai (notamment par les propriétaires du Soir et de La Voix du Nord, et ceux de La Libre Belgique).

Sophia Aït Kaci, Arnaud Galliere, Frédéric Lemaire, Antonin Padovani, Kahina Seghir, Nils Solari, Jean Tortrat

[1Voir notre précédent article « Macron contre le journalisme » (nov. 2019).

[2Un classement « déterminé grâce à l’accumulation de réponses d’experts à un questionnaire » et visant à rendre compte du « degré de liberté dont jouissent les journalistes dans 180 pays et régions ».

[3A ce sujet pour plus de détails, lire notre interview de Lionel Thompson (SNJ-CGT).

[4L’occasion de relire notre article à ce sujet paru en juillet 2004.


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