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SOURCE : A l'encontre
Entretien avec Jhonny Pardo conduit par Fabián Kovacic
Le mouvement paysan en Bolivie a été un acteur clé dans les blocages routiers qui, les deux premières semaines du mois d’août, ont marqué un nouveau chapitre dans la crise politique aiguë que connaît le pays. Brecha s’est entretenu avec l’un de ses dirigeants pour connaître la vision de ce secteur sur la situation politique actuelle. Jhonny Pardo est le dirigeant du syndicat des agriculteurs de Cochabamba.
Après la fin des blocus qui ont encerclé plusieurs villes boliviennes durant la première moitié du mois d’août afin de protester contre le report – décidé par la présidente par intérim Jeanine Áñez – des élections au 18 octobre, la Fédération des travailleurs paysans de Cochabamba reste en alerte. Ses membres, qui font partie d’un réseau de fédérations de paysans qui affirme compter quelque quatre millions de membres, et qui soutiennent le ticket présidentiel du MAS (Movimiento al Socialismo) restent mobilisés et en assemblée. Au milieu de cette agitation, son secrétaire exécutif, Jhonny Pardo, s’est entretenu par téléphone avec Brecha.
Y aura-t-il des élections présidentielles en Bolivie en octobre?
Jhonny Pardo: Nous ne faisons pas confiance au gouvernement et à ses intentions d’aller aux élections le 18 octobre, car il veut juste retarder les choses. Lorsque le coronavirus est apparu, ils pensaient que cela leur serait favorable, mais au fur et à mesure que les jours passent, la mort et la misère augmentent dans le pays. Le coronavirus a aggravé la situation de [la présidente Jeanine] Áñez. Son seul soutien réside maintenant dans les comités civiques qui demandent également la démission des membres du tribunal électoral. C’est pourquoi nous avons demandé à l’Assemblée nationale de nommer immédiatement des remplaçants pour toute démission de la Cour, car le gouvernement s’en servira pour demander un nouveau report des élections.
Que se passera-t-il si les élections d’octobre sont reportées?
La politique du MAS n’est pas celle d’un coup d’État. Ce gouvernement doit être expulsé suite à un vote. Bien que nos candidats Luis Arce (président) et David Choquehuanca (vice-président) soient en tête des sondages, nous n’avons pas confiance dans ces sondages. Parce que certains sont payés pour montrer une situation de pat [une situation d’égalité qui ne permet pas de trancher] ou même une victoire serrée des alliés anti-MAS.
Qui voulez-vous dire quand vous parlez «ils» pour décrire la situation?
Il s’agit de l’empire étasunien qui veut maintenir ce gouvernement au pouvoir. Il l’a déjà fait en infiltrant en son sein des moyens matériels et des personnages par l’intermédiaire d’organisations comme l’USAID. La partie de l’opposition représentée par Carlos Mesa et Fernando Camacho suit les ordres des Etats-Unis. Ils sont comme des agents de la CIA sur le territoire bolivien.
Et s’il y a des élections en octobre et que la présidente Jeanine Áñez ne veut pas quitter le pouvoir?
Jeanine Áñez et l’empire étasunien ne voudront pas renoncer au pouvoir le 18 octobre. Ils vont faire l’impossible pour le garder. Mais nous pensons que ce jour-là, Jeanne Áñez devra quitter le gouvernement, oui ou oui. Par tous les moyens nécessaires. À partir de ce jour, les choses ne seront pas faciles pour le gouvernement du MAS, nous le savons, mais nous sommes prêts à soutenir nos dirigeants avec les personnes mobilisées.
Comment prenez-vous les récentes accusations contre Evo Morales pour de prétendues relations avec des femmes mineures?
Cela doit être déterminé par la justice. Mais pour nous, le gouvernement et ses partis proches font un usage politique d’accusations qui sont pour nous fausses. Ils utilisent ces accusations pour discréditer le MAS, le mouvement social paysan, les camarades Lucho Arce et David Choquehuanca, et surtout notre camarade président Evo. C’est de la sale politique.
Êtes-vous d’accord avec Evo Morales lorsqu’il affirme que le coup d’État portait sur le lithium?
N’oubliez pas que lorsque le coup d’État a eu lieu, notre pays avait signé des accords avantageux avec l’Allemagne pour exploiter le lithium. Mais ce n’est pas seulement à cause du lithium, mais à cause de toutes les richesses que le présent gouvernement, avec l’empire étasunien, est en train de piller la Bolivie et le peuple bolivien. Il s’agissait d’un coup économique dans l’intention de priver également la population des droits qu’elle avait obtenus ces dernières années avec le gouvernement d’Evo Morales.
Comment voyez-vous l’unité du mouvement social, compte tenu du fait que ces derniers temps, il y a eu des différences de stratégie?
Les bases se sont unies lors des récents blocus et nous avons montré au gouvernement de Jeanine Áñez que le peuple bolivien est uni. Il est vrai qu’il y a eu des malentendus et des interprétations erronées il y a quelques mois, mais face aux politiques de pillage de ce gouvernement, nous sommes devenus plus unis. Aujourd’hui, nous sommes solidement unis derrière les camarades qui composent le ticket présidentiel du MAS.
Que pouvez-vous dire de la situation sociale à l’heure actuelle?
C’est grave. Non seulement les personnes mobilisées dénoncent le gouvernement. Les crimes de Sakaba et de Senkata [répression, en novembre 2019, des habitants de ces deux localités, lors de l’arrivée au pouvoir de Jeanine Áñez] ont également été dénoncés par Michelle Bachelet Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Et le gouvernement de Jeanine Áñez, par l’intermédiaire du ministre Arturo Murillo [entrepreneur et Ministre du gouvernement], accuse maintenant l’ONU de ne pas être impartiale.
Le rapport de Michelle Bachellet rappelle également la responsabilité d’Evo Morales dans la crise, pour s’être présenté aux élections présidentielles malgré le référendum organisé contre lui.
Mais cette décision du frère Evo était légale et constitutionnelle. Aujourd’hui, le gouvernement d’Áñez cherche à esquiver sa responsabilité dans le massacre provoqué par les tirs de la police.
Comment prévoient-ils de poursuivre jusqu’au 18 octobre?
Écoutez, je vous parle en ce moment même depuis une [assemblée populaire] élargie à laquelle participent entre 500 et 800 frères et sœurs du mouvement paysan de la Subcentral Sivingani sous-central, dans la municipalité de Vila Vila, Cochabamba. Nous maintenons l’état d’urgence et la mobilisation contre toute tentative de contrecarrer les élections. Et nous allons revenir pour exiger le respect de la loi et du peuple. (Entretien publié par l’hebdomadaire uruguayen Brecha, le 28 août 2020; traduction rédaction A l’Encontre)