⚡ Municipales : derrière la “vague verte” des métropoles, gare à l’embourgeoisement de la gauche

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SOURCE : Marianne

Après le bon résultat des écologistes aux municipales, beaucoup à gauche ont salué un triomphe porteur d’avenir. Pourtant, les résultats montrent également que la gauche a franchi une nouvelle étape de son embourgeoisement avec ce scrutin boudé par les classes populaires.

 

A défaut d’une réelle déferlante de votes, les écologistes ont eu droit à un raz-de-marée de commentaires enthousiastes ce dimanche 28 juin, à l’issue du second tour des municipales qui les a vus remporter plusieurs victoires dans des grandes villes françaises. De nombreuses personnalités politiques se sont en effet précipitées pour chanter les louanges de la “vague verte“, jugée annonciatrice de lendemains enchanteurs pour la gauche. Ainsi Raphaël Glucksmann, eurodéputé élu sous l’étiquette socialiste l’an passé, a-t-il jugé qu’on avait tort de “focaliser l’attention sur Le Havre et Perpignan“, la “véritable nouvelle” étant le fait qu’une “vague de gauche et écolo [ait] submergé nos villes“.

L’ancien candidat à la présidentielle Benoît Hamon, sobre et taquin, a tweeté qu’il avait “connu pire dimanche“. Pour la députée France Insoumise Clémentine Autain, “le rassemblement sur des bases écologistes et sociales, appuyé sur de l’initiative citoyenne, est porteur de changement et d’espérance”. Autre élue LFI, Manon Aubry a salué les “victoires notables d’une gauche qui reprend des couleurs rouges / vertes ancrée dans des dynamiques citoyennes“. N’en jetez plus : pour ces partisans de la gauche rassemblée, les triomphes d’Europe Ecologie Les Verts tracent le chemin idéal pour une victoire en 2022. L’ancien journaliste de Quotidien et Konbini Hugo Clément résume le sentiment de ces écolos-enthousiastes transis d’aise : “Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Strasbourg, Poitiers, Nancy, Besançon… Incroyable et énorme vague verte partout en France. L’écologie remporte les plus grosses villes françaises et s’implante partout. Une nouvelle époque s’ouvre !

Dans l’appareil d’EELV, on se persuade également que l’écologie sera la matrice autour de laquelle la gauche, voire le paysage politique, construira l’avenir. Ainsi Yannick Jadot affirme-t-il dans Le Monde que l’on a assisté à “un tournant politique pour notre paysLe paysage se recompose autour de l’écologie, d’un projet riche.” Autre cadre vert, David Cormand constate que son parti est à la fois soutenu par des macronistes déçus et “un électorat de gauche qui voit que le récit social-démocrate classique est obsolète, intenable.” Pour lui, le récit des écolos “prend le pas sur la gauche productiviste“. Interrogé par Libération, l’analyste Stewart Chau juge lui aussi que “les Verts sont la nouvelle matrice autour de laquelle peut se réorganiser la gauche“.

VICTOIRE… DE L’ABSTENTION

Pourtant, si les soirées électorales victorieuses sont propices aux célébrations hâtives, l’analyse des résultats des municipales devrait inciter ces commentateurs à davantage de prudence. Avant d’être une victoire d’EELV, ce scrutin est marqué par le poids massif, impressionnant, écrasant de l’abstention, y compris dans les grandes métropoles où les Verts ont triomphé. Les citoyens ont été très majoritaires à ne pas se déplacer pour aller voter. Exprimer les scores des vainqueurs en pourcentage des inscrits, et non en pourcentage des suffrages exprimés, aide à remettre l’ampleur de la “vague verte” en perspective. Ainsi à Lyon, Grégory Doucet n’est devenu maire qu’en agrégant le soutien de 19,04% des électeurs, alors que 62,24% se sont abstenus. A Bordeaux, autre conquête écologiste majeure, 17,51% des inscrits ont voté pour Pierre Hurmic (abstention : 61,67%). Seuls 15,03% des Strasbourgeois inscrits sur les listes électorales ont permis à Jeanne Barseghian d’emporter la mairie, 63,34% s’étant abstenus. Malgré ce constat arithmétique, qui transforme le raz-de-marée vert en vaguelette, les réflexions inquiètes au sujet de la désaffection démocratique ont rapidement laissé la place à l’exaltation devant le début d’une “nouvelle ère“.

Outre l’abstention, les constats triomphalistes au sujet de la “gauche verte” témoignent aussi d’un regard centré à l’excès sur les grandes métropoles. Rappelons que sur 236 communes de plus de 30.000 habitants, EELV n’en a remporté que… dix. Certes pas des moindres, avec les plus grandes villes de France seuls (Strasbourg, Bordeaux, Lyon…) mais dans les communes de taille moyenne, l’écologie politique, et plus encore la gauche (qui l’emporte en s’unissant à Paris, Rennes, Nantes, Marseille, Montpellier, Rouen), sont absentes, et c’est la droite qui se taille la part du lion. Le constat est passé sous les radars médiatico-politiques, mais la gauche a perdu un nombre considérable de communes populaires ce dimanche 28 juin. Des mairies qu’elle détenait parfois depuis plusieurs décennies.

LA GAUCHE EN GRANDE DIFFICULTÉ DANS LES COMMUNES POPULAIRES

En banlieue parisienne, le Parti communiste a subi de nombreuses déroutesdans des villes qu’il gouvernait depuis l’après-guerre : Saint-Denis, Aubervilliers, Champigny-sur-Marne, Choisy-le-Roi, Valenton, Villeneuve-Saint-Georges. La droite a également gagné à Bondy, une ville contrôlée par le PS. Dans une autre banlieue, celle de Lyon, le processus est tout aussi spectaculaire, puisque les communes pauvres de l’est ont quasiment toutes élu des maires de droite : c’est le cas à Bron qui bascule, mais également à Meyzieu, Saint-Priest, Rillieux-la-Pape, Décines-Charpieu, Grigny, Pierre-Bénite, des villes que la gauche avait perdu en 2014. Partout en France, des bastions populaires historiques, au passé ouvrier, voient la gauche échouer face à la droite ou à l’extrême-droite. Ainsi le Rassemblement national l’emporte à Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, à Bruay-la-Buissière dans le Pas-de-Calais, à Perpignan… Le PCF déplore également des défaites là où il contrôlait la mairie à Seclin (Nord), Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire), Givors (Rhône), Fontaine (Isère), Arles (Bouches-du-Rhône)…

En résumé, dans une large mesure, l’écologie et la gauche ont gagné dans les métropoles, les territoires les plus riches du pays, dynamiques économiquement et bien insérés dans la mondialisation. A contrario, dans la France périphérique, celle des petites communes et des villes moyennes, la “vague verte” est tout bonnement inexistante. Plutôt qu’à un changement de paradigme, il est probable qu’on ait assisté ce dimanche 28 juin à un nouvel épisode spectaculaire de l’embourgeoisement de l’électorat de la gauche. Si l’on ne dispose pas encore de données sociologiques suffisantes pour se prononcer avec certitude, l’étude de l’Ifop menée en 2019 sur “les ressorts du vote EELV aux élections européennes” démontrait déjà avec acuité les dynamiques à l’oeuvre : “Le vote EELV est d’abord un vote urbain, son intensité étant d’autant plus forte que le nombre d’habitants dans une commune est élevé“, écrivaient Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach, qui allaient surtout plus loin en illustrant qu’à l’intérieur des grandes villes, plus le prix de l’immobilier augmentait, plus les scores des écologistes grimpaient en corrélation. Bien sûr, précisait l’Ifop, si une proportion écrasante de “CSP+” votent EELV, il ne s’agit pas de la bourgeoisie traditionnelle mais du “soutien des ‘bobos’” ayant largement voté Emmanuel Macron dès le premier tour en 2017 : professions intellectuelles, de la culture et de l’information, ainsi qu’étudiants et jeunes ménages de cadres. Reste que cette bourgeoisie, même progressiste, reste une bourgeoisie, et que les classes populaires et habitants des communes en difficulté ont déserté la gauche dans les grandes largeurs à l’occasion de ces élections municipales. Un constat qui n’a pas l’air d’inquiéter outre mesure les thuriféraires de la “vague verte“.


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