Sur le livre “Plaidoyer pour le Rojava. Réflexions d’un internationaliste sur les aléas d’une révolution”

Début 2020, paraissait le récit d’un ancien volontaire internationaliste sous le titre de Plaidoyer pour le Rojava : Réflexions d’un internationaliste sur les aléas d’une révolution, aux éditions Acratie. Passée plutôt inaperçue, cette parution s’ajoute à la courte liste des récits de volontaires ayant combattu dans les YPG. 

L’auteur, qui écrit sous le pseudonyme de B. Şoreş (« Vive la révolution » en kurde), est un militant marxiste révolutionnaire français. Passé par les rangs de diverses organisations en France, il a combattu trois ans au sein des YPG comme volontaire internationaliste, entre 2015 et 2018. Ayant participé à plusieurs opérations clefs des YPG, dont la bataille de Raqqa, il a notamment commandé l’unité internationale des YPG entre 2017 et 2018. 

Revenu en Europe en 2018, B. Şoreş a fait face à un torrent de questions sur le Rojava et a pu constater combien de rumeurs folles et plus ou moins malveillantes pullulaient en Europe. Et combien certains, chez les militants de gauche, se plaisaient à s’illusionner sur « le Rojava ». Ce qui a motivé, nous dit-il en introduction, l’écriture de plusieurs textes qui furent finalement compilés et publiés sous cette forme. 

Histoire politique du Rojava

Les amateurs de récits d’aventure seront déçus : l’ouvrage n’est pas un témoignage et l’auteur n’y apparaît pratiquement pas. Aussi n’apprenons-nous rien ni sur son parcours personnel, ni sur sa participation individuelle au conflit syrien. Il s’agit d’un recueil de textes de différentes longueurs, vingt au total. L’auteur y aborde l’histoire du conflit syrien, la révolution syrienne de 2011-2012 dans les territoires kurdes, les formes d’organisation des femmes kurdes, les volontaires internationalistes, et de nombreux autres sujets, tant du point de vue de l’analyste que du témoin et de l’acteur. 

Les premiers chapitres retracent l’histoire politique du Rojava et exposent les changements survenus depuis 2011. L’histoire des rivalités internes à la vie politique kurde en 2011, les orientations défendues par les partis politiques kurdes et le processus ayant abouti à l’hégémonie politique du PYD au Rojava y sont exposés. Faits intéressants car peu connus, la plupart des ouvrages qui traitent de la « Révolution du Rojava » ayant le travers de se focaliser sur les évènements survenus après 2012, c’est-à-dire après la prise du pouvoir par les YPG. 

Retour sur certaines polémiques

La deuxième partie de l’ouvrage revient sur un certain nombre de polémiques et de « rumeurs » ayant eu cours. L’auteur s’attaque notamment au rapport d’Amnesty International de 2015 qui accusait les YPG d’avoir déplacé par la force des civils arabes dans la région de Silûk. La réponse au rapport est détaillée et factuelle, ce qui devrait satisfaire ceux qui se sont indignés de bonne foi des « pratiques » des YPG. 

Şoreş dénonce l’attitude des journalistes ayant couvert le conflit syrien et révèle certaines de leurs méthodes. On sera surpris (quoique…) d’apprendre que ceux-ci étaient en majorité des « journalistes de guerre » n’ayant aucune connaissance du terrain, ni de la langue, ni des subtilités politiques locales et se trouvant bien souvent manipulés par la « bienveillance » des acteurs locaux. La coalition internationale n’est pas en reste : B. Şoreş ne cesse, tout au long de l’ouvrage, de dénoncer les errements de celle-ci, son cynisme lors de l’invasion turque du canton d’Afrîn, ou encore les bombardements aveugles pendant la bataille de Raqqa. 

La question des volontaires internationalistes

Dans la troisième partie, l’auteur nous parle des volontaires internationalistes. Partant du constat que tout et son contraire a été dit à leur sujet, B. Şoreş revient sur plusieurs rumeurs  : Les YPG ont-ils accueilli et entraîné des militant d’extrême-droite motivés par leur haine de l’Islam ? Une brigade queer a-t-elle combattu à Raqqa ? Les combattants les plus présents dans les médias audiovisuels étaient-ils représentatifs de la masse des volontaires ? Et quelles étaient les motivations de ceux-ci ? Les portraits individuels des trois martyrs français y sont dressés, nous donnant une idée du profil des volontaires internationalistes : divers quant à leurs parcours, leurs origines sociales, leurs idées politiques ou même leurs raisons de combattre. 

On apprend encore que les volontaires internationalistes ont été régulièrement poursuivis ou surveillés de près à leur retours, à des degrés divers selon leurs pays d’origine. Les mécanismes par lesquels les services de renseignement français approchaient certains volontaires sont détaillés. 

La gauche révolutionnaire et le Rojava

Dans la dernière partie, B. Şoreş, dont les convictions sont marxistes révolutionnaires, se livre à des réflexions inspirées par la révolution au Rojava. Discutables, certes. L’auteur s’y livre notamment à une critique acerbe de la gauche révolutionnaire dans ses différentes composantes. Certains se voient reprochés de s’être cantonnés à un soutien purement verbal ; d’autres, obnubilés par les succès des YPG, de s’être convertis à l’apoïsme par opportunisme idéologique. 

Au final, nous dit B. Şoreş, il est absurde d’exalter la révolution du Rojava comme négatif de la gauche révolutionnaire européenne ou, à l’inverse, de la vouer aux gémonies. B. Şoreş propose de définir dans quelle mesure la gauche révolutionnaire européenne devrait s’inspirer des évènements du Rojava pour « mener à bien la part du processus révolutionnaire qui [lui] reviendra ». 

En bref, B. Sores apporte un certain nombre d’éclairages et d’éléments factuels inédits sur le Rojava, raison pour laquelle son Plaidoyer pour le Rojava, indépendamment du point de vue que l’on portera surà ses jugements, mérite d’être lu par ceux qui entendent se faire leur opinion sur l’un des fétiches les plus récurrents de la gauche révolutionnaire européenne. 

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