Jacques Leclercq, 2041. Un roman d’anticipation historique

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SOURCE : Dissidences

Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque

Après avoir réalisé plusieurs ouvrages à vocation encyclopédique consacrés tantôt aux extrêmes de la droite, tantôt à ceux de la gauche1, Jacques Leclercq a souhaité s’essayer à l’écriture de fiction. Il a choisi pour ce faire le cadre de l’anticipation, nous projetant dans une France de 2041. Les élites politiques – réduites pour l’occasion au président et à son premier ministre, seuls à être nominativement décrits – sont plus corrompues que jamais, tandis que la société subit les conséquences d’une libéralisation poussée et d’une droitisation rimant avec accentuation de l’autoritarisme étatique.

Cette vision plutôt monochrome, qui frise à certains moments avec une certaine nostalgie d’un passé censément meilleur, avait-elle vraiment besoin d’être projetée si loin dans l’avenir ? Car on découvre surtout une extension de la situation actuelle, sans réels changements technologiques, sans évolutions notables non plus sur le champ de la lutte climatique (p. 112, l’état du secteur agricole ressemble fort au nôtre !). L’essentiel de l’intrigue se concentre sur deux composantes politiques. D’un côté, un mouvement d’extrême-droite dirigé par Martial, de l’autre, un Front révolutionnaire mené par Rosario. Ce dernier, au sein duquel cohabitent des tendances d’extrême gauche difficilement solubles, prend l’initiative de s’emparer, un jour de juin 2041, des principaux lieux du pouvoir, à Paris et en province, profitant d’une réunion allongée du Congrès à Versailles. Il lui suffit alors de 2 300 militants (ayant de surcroît déjoués toute infiltration policière !) pour parvenir à ses fins, les forces de l’ordre demeurant étonnamment statiques. Une partie de la police et de l’armée prennent même partie pour les insurgés. Ces derniers mettent en place une myriade de comités à travers la France, dont on peine à saisir s’ils sont ouverts à tous ou seulement aux activistes. Parallèlement, les efforts du Mouvement traditionnaliste français de Martial pour rivaliser avec le Front révolutionnaire se terminent en palinodie.

Jacques Leclercq réutilise certains épisodes révolutionnaires du passé pour dépeindre un nouveau Mai 68 qui aurait duré plus longtemps : on pense à la fois à la Commune (le pouvoir légal retranché à Versailles), à la révolution russe (la tentative d’assassinat de Rosario se rapprochant de celle de Fanny Kaplan sur Lénine) ou à la révolution portugaise dite des œillets (avec le rôle progressiste d’une fraction de l’armée). Néanmoins, bien que les sympathies de l’auteur penchent clairement vers la gauche, la révolution qu’il met en scène se heurte à une tendance chronique de l’extrême gauche (la division) ainsi qu’à une incapacité à gérer les considérations financières. Plus gênant, ce Front révolutionnaire, qui ne parvient pas à incarner une direction solide (il ne le veut d’ailleurs probablement pas réellement), adopte des positions parfois incohérentes : validant le référendum proposé par la frange conservatrice (et majoritaire) de l’armée pour le retour à l’ordre, il refuse ensuite les élections qui n’en sont que le prolongement logique… avant de s’auto-dissoudre ! On est là plus proches des tendances horizontalistes actuelles que du verticalisme bolchevique. La fin de cet épisode révolutionnaire est donc similaire à celle de Mai 68, et ne reste finalement que des souvenirs ayant duré le temps d’un rêve, un songe dépouillé de toute réelle guerre civile.

Sur le plan formel, Jacques Leclercq a fait le choix d’une narration pratiquement dépourvue de tout dialogue, ce qui manque de vie et de fluidité ; à la place, de fréquentes citations de chansons sont insérées. Il a également pris le parti de parsemer son récit de considérations personnelles (sur son opposition à la récente réforme des retraites, par exemple), historiques (parfois pesantes) ou que l’on peut apparenter à du hors-sujet (ainsi des développements sur l’art équestre, une de ses passions, ou sur les patois normands, p. 195). L’humour est également prégnant, mais on nous permettra de le trouver souvent assez pesant, lui aussi (les descriptions des avanies sexuelles de deux des personnages féminins sont vraiment caricaturales, dignes du porno), aboutissant à un roman qui semble avoir du mal à trancher entre analyse politique et second degré comique.

2041, où voisinent des considérations pertinentes (la mise en place d’une économie souterraine, l’opposition tranchée du patronat) et des éléments bien peu crédibles (l’atonie du gouvernement ou de l’état-major de l’armée des semaines durant) ou insuffisamment analysés (le mécontentement de la population liée aux crédits à rembourser n’aurait-il pas pu trouver une résolution dans le contrôle total des banques et l’annulation des crédits populaires en cours ?), est un roman qui aura probablement du mal à trouver son lectorat.

1Le dernier paru, Radicalités politiques et violentes en France et dans le monde (Paris, L’Harmattan, 2019), fait l’objet d’une recension sur ce blog cette semaine.


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