Interview d’un prof stagiaire : sur la reprise du 11 mai, les conditions de travail, les titularisations…

Interview de Gustave, professeur stagiaire, au sujet de la reprise du 11 mai et des conditions de travail et de titularisation des professeurs stagiaires. Comme c’est devenu l’habitude dans l’éducation nationale : que des questions sans réponse et un mépris pour les personnels grandissant.

 

1. Qu’en est-il de la situation des stagiaires, des conditions de validations de stages dans ton académie (et ailleurs ?)?

Justement, personne ne sait. Pour l’instant il ne s’agit que de bruits de couloirs, de “on dit” de rectorats etc.

Plusieurs pistes sont avancées : stagiaires validé.es en décembre 2020, titularisations décalées, titularisations en fin d’année scolaire comme prévues (mais pour qui ?)…

Cette situation est très stressante pour de nombreux-ses stagiaires : quid des stagiaires en renouvellement ou prolongation de stage ? Quid des stagiaires qui devaient avoir une deuxième visite ?

Les inspections et secondes “visites pédagogiques” seront-elles maintenues ?

Avec quels critères d’évaluation ? Les conditions de reprise sont totalement obscures pour l’instant, tout comme le calendrier.

Si je dois avoir une deuxième visite, elle va avoir lieu quand ? En juin ? Avec quelles exigences au vu des conditions d’exercice qui sont amenées à évoluer ?

Ça génère d’autres questionnements, notamment sur la mobilité et sur les résultats des mutations inter/intra académiques.

Je souhaitais demander une disponibilité l’année prochaine, que se passe-t-il si je ne suis pas titularisé à la fin de l’année scolaire ?  Je ne peux pas demander ma disponibilité. Il faudrait donc quitter à la fois mes projets personnels et professionnels annexes et mes engagements pour faire une année supplémentaire en tant que stagiaire ? Dans quelle académie ?

Evidemment, c’est stressant. On est beaucoup à “jouer gros” sur cette année, le concours est l’issue d’un travail énorme.

Paradoxalement, les INSPE refusent de nous répondre sur les deux sources de stress et d’inquiétude les plus répandues parmi nous : les mémoires (faut-il les rendre, comment, alors qu’une partie du mémoire repose sur la pratique pédagogique?) et la titularisation.

Le rapport de force en ce moment joue en notre défaveur : le moyen de pression est trop grand (la titularisation) les conditions trop floues… Et on n’a aucun cadre vraiment large de discussion possible sans s’afficher.

 

2. Puisque tu parles de rapport de force, y a t-il eu une évolution ? Y avait-il eu une mobilisation des professeur.es stagiaires contre la réforme des retraites ? En ce moment comment ça se passe ?

Dans mon académie, il y a eu une mobilisation mesurée mais dans laquelle je trouve qu’on a réussi à être efficaces. Je peux faire un rapide historique de ce qu’on a fait cet hiver.

Début décembre, tout le monde était concentré sur son établissement, sur les AG éducation locales, et plusieurs stagiaires ont été vite découragé.e.s parce qu’iels étaient dans des établissements très “mous”. Difficile quand on est stagiaire, un peu tout.e seul.e, de générer une dynamique dans son établissement.

Mais on a été quand même un certain nombre à faire grève, et on s’est rapidement mis à distribuer des tracts, à faire de l’info sur l’INSPE, avec le soutien de plusieurs syndicats :

le SNES et la FSU, SUD, la CNT, FO et la CGT nous ont soutenus, ont signé nos tracts, ont relayé nos appels etc.

A partir de janvier on est passé à la vitesse supérieure, on s’est mis à tenir des tables d’information et une table café pour soutenir les caisses de grève, on a aussi produit des brochures sur différents sujets : E3C, réforme des concours, LPPR etc.

On a couplé ce travail avec des AG, on a commencé à faire un cortège de stagiaires dans les manifs.

On a été jusqu’à une dizaine de professeur.es stagiaires dans les cortèges de manifs (mais d’autres collègues manifestaient dans leurs cortèges de bahut), entre 20 et 40 en AG, souvent autour de 35 pendant la période janvier / février. On a quand même touché pas mal de monde avec nos argumentaires et on a récolté entre 50 et 100 euros par jour de présence pour la caisse de grève de l’académie, donc plutôt cool.

On est aussi plusieurs à s’être formé.e.s pendant la période, que ce soit sur l’organisation, sur l’écriture de tracts ou de brochures, sur le relationnel avec les syndicats etc.

Dans plusieurs disciplines il y a eu des menaces de profs ou de formateurs, des trucs insidieux, pas forcément formulés comme tels mais qui te dissuadent de te mobiliser. Et vu que tout le monde veut sa titularisation, la pression était importante et l’usage du droit de grève compliqué pour les stagiaires qui ont peur de s’exposer.

Bon là, depuis le confinement, le cadre qu’on avait créé (groupe Whatsapp, échanges par mail, AG hebdomadaires) est carrément mort. Je pense que l’isolement géographique de beaucoup de collègues mobilisé.e.s mais pas forcément super investi.e.s a eu raison de leur motivation, et c’est compréhensible.

 

3. Et justement, quelles sont les revendications qui semblent justes pour les professeurs stagiaires ? Pour l’école en général ?

Pour les stagiaires c’est simple : pour l’instant ce qui est fait est négligeable dans mon académie, mais de ce que j’entends c’est pareil partout. On nous a annulé certains examens qu’il était simplement impossible de maintenir, mais d’autres sont faits sous forme informatique, avec des détails qu’on n’a pas vraiment. On nous dit que certaines UE seront noté.e.s sur l’assiduité avant le confinement. C’est inacceptable.

Nous profs stagiaires, c’est notre première année d’enseignement, on est placé.e devant une situation inconnue et on a les mêmes obligations de moyens et de résultats que nos collègues expérimenté.e.s. On est sur le pont depuis plus d’un mois pour nos élèves, et à côté de ça on ne connaît toujours pas certaines modalités d’évaluation ?

Comment assurer une égalité de passage des examens dans ces conditions ?

Il faut a minima un 10 améliorable pour tou.tes à tous les examens ! C’est insensé de rester dans le flou, depuis tout ce temps.

Ensuite sur les mémoires, là aussi aucune égalité de traitement, chaque INSPE fait comme il veut etc.

La situation est la suivante : six semaines avant le rendu prévu des mémoires, pour certain.e.s avec des expérimentations à peine commencées, des états de l’art à l’état de brouillon et des bibliographies incomplètes, nous n’avons plus ni classes ni bibliothèques. De plus, nous passons déjà plusieurs heures par jour devant nos écrans, et notre charge de travail a augmenté, de l’avis général. Nous ne pouvons donc rendre que des mémoires incomplets, sans expérimentation en classe et du coup sans résultats. Que nous propose l’inspé ? De faire des analyses de manuel au lieu des résultats, “d’expliquer ce qu’on aurait fait” et de l’analyser, etc. Bref, une solution de fortune pour surtout ne pas risquer de nous faire travailler moins.

Franchement c’est n’importe quoi : l’objectif affiché est de rendre un travail médiocre, en nous surchargeant de travail, dans une période ou beaucoup d’entre nous ont eu à connaître dans leur entourage propre ou pour elleux-même la maladie voire le deuil.

Il faut l’annulation des mémoires pour cette année, les maintenir n’est utile à personne et ne montre qu’une obstination des directions à nous faire travailler toujours plus, pour un but toujours moins clair.

Pour finir, il faut titulariser l’ensemble des stagiaires de cette année ET recruter massivement de nouveaux stagiaires pour l’année prochaine.

En effet, la reprise “à effectifs réduits”, avec des groupes classes différents et des rythmes aménagés, va nécessiter des effectifs enseignants colossaux.

Les pistes sont nombreuses par ailleurs pour réduire les inégalités de traitement dans l’éducation nationale : recrutement de nouveaux-elles stagiaires sur la base d’un entretien similaire à celui du recrutement des contractuel-les actuelles, un recrutement en stagiaire de tou.tes les candidat.e.s au CAPES et à l’Agreg de cette année, titularisation de tou.tes les précaires de l’éducation nationale sans condition…

 

4. Que penses-tu de la reprise à partir du 11 dans les établissements ? Du droit de retrait ? De la mobilisation possible des collègues ?

La reprise le 11, tout le monde est contre, même Blanquer !

Moi je ne suis ni médecin, ni statisticien, donc je consulte les documents qui font autorité.

L’INSERM ne prévoit aucun scénario avant une rentrée à l’automne, pour eux c’est juste hors sujet. Dans de précédentes projections, ils estimaient qu’un retour en classe en mai au lieu de juin ferait augmenter de 40 à 50% le pic épidémique.

La semaine dernière, il y avait 1.500 décès par jour et on était pas au pic. Si reprendre en mai ça veut dire 3.000 mort.e.s par jour, c’est hors de question.

Le conseil scientifique, le conseil de sécurité, des chefs de services d’hôpitaux, des maires sont montés au créneau en disant que c’était juste n’importe quoi. Macron veut que le 11, les élèves retrouvent le chemin de l’école pour que les parents retournent se faire exploiter, et ça tout le monde en a bien conscience. L’économie avant tout, l’économie même si on doit doubler le bilan déjà macabre et gravissime de cette épidémie.

Les quelques pays qui ont rouvert les écoles les referment (notamment le Japon) parce que c’est la catastrophe.

Il y a 12 millions d’élèves en France, et 1,5 million d’adultes qui bossent dans les écoles.

Ce sont 13 millions de personnes qui vont se retrouver dans des lieux fermés, mais aussi prendre les transports, réaliser des trajets, rentrer chez elleux le soir avec leur famille qui sera retournée au travail… Ça va être la source d’un redémarrage accéléré de la circulation du virus.

Et quid des gestes barrière ? En lycée, oui, au collège pourquoi pas. Mais Macron a-t-il déjà vu un enfant de 6 ou 7 ans ? On va lui demander de changer son masque ? De mettre des gants ? De rester à 2 mètres de ses copains à la récré ?

Alors on nous assure que tout sera là, l’organisation, le matériel, que ça sera “tout à fait possible dans des conditions assurant la sécurité de tou.tes” blablabla. Ces gens ont ils lu les recommandations de l’ARS ? Dans mon établissement, il va y avoir des problèmes pour absolument tout : la circulation dans les couloirs, le réfectoire, les sanitaires… Qu’est-ce qu’on va faire on va ajouter des salles ? On va inventer des locaux ?

Et pour la question des moyens, des masques, des tests etc. Quand le gouvernement dit que tout sera là je réponds simplement : menteurs.

On est fin avril et il y a encore des infirmières qui se fabriquent des surblouses avec des sacs poubelle. On a des masques qui sont cousus par des particuliers, chez eux, des visières qui sont faites par des entrepreneurs ou des gens avec des imprimantes 3D, FIN AVRIL. Le premier mort du covid en France c’était en février. L’Etat commande des respirateurs … ce sont des respirateurs pas adaptés. L’Etat n’a pas de masques ? On nous dit que les masques sont inutiles.

On n’a fait que nous mentir, aujourd’hui encore tout se fait avec les moyens du bord, nos collègues qui accueillent les enfants du personnel soignant n’ont absolument aucun matériel.

Là le nouveau délire du gouvernement c’est les “masques grand public”, ils se sont rendu compte que’il n’y aurait jamais assez de masques produits, vu qu’ils ne veulent surtout pas réquisitionner les boites de leurs potes capitalistes pour en produire, du coup c’est à nous de faire nos masques en tissu qui ne servent à rien, comme ça ce sera de notre faute quand on aura le covid.

Il n’y a plus aucune confiance en ce gouvernement en ce qui concerne la gestion de crise sanitaire.

Le 11 mai personne ne sait comment ça va se passer, tout le monde dit tout et son contraire.

La seule chose qui est sûre : ça va sonner la reprise générale du chemin du taf. Peu importe le coût humain tant que les actionnaires se remplument.

Je crains une organisation qui parque les jeunes dans les permanences et les récrés des demi journées entières s’il le faut, pendant que l’autre moitié a cours… J’ai une seule certitude : le 11 mai ce ne sera pas possible, le 11 mai c’est une politique criminelle, le 11 mai ça sera sans moi.

Et j’en parle avec les collègues, tout le monde a peur de reprendre.

Le 11 mai ça sera sans nous.

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