Élections européennes : le premier acte est joué, mais tout reste encore à faire…

Ce texte est une contribution au débat de deux camarades de l’ex Plateforme A suivant le CPN du NPA de septembre 2023 qui envisage la perspective d’une alliance avec la FI pour les européennes. D’autres positions ont aussi été défendu lors de ce CPN par d’autres camarades de l’ex Plateforme A, notamment la perspective d’une campagne sans candidat.


 

  • Particularités du front unique électoral
    Le front unique dans les luttes est au coeur de notre stratégie[1] : parce qu’il permet d’unifier la classe, notamment en unifiant ses organisations, qu’elles soient réformistes ou non, sur un objectif précis, tout en permettant la mise en place de cadres d’auto-organisation, parce qu’il permet de développer sa conscience en lui faisant prendre confiance, et bien sûr parce que l’unité permet d’arracher des victoires. Par contre, le front unique électoral, une alliance entre notre parti et d’autres partis de notre classe en vue d’élections, est plus compliqué – tout simplement parce qu’il est uniquement tactique, notre stratégie étant révolutionnaire et non électorale. Il est donc hautement contingent, et dépend principalement de notre analyse de la situation. De plus, il est d’autant plus compliqué à mettre en place qu’il peut rapidement devenir peu compréhensible largement : il n’est déjà pas toujours facile d’expliquer pourquoi nous participons à des élections alors que nous ne pensons pas que les gagner permette de changer les choses, mais aller expliquer que nous y participons avec des réformistes demande encore un autre niveau d’argumentation.

 

  • Renforcer les idées anticapitalistes, communistes et révolutionnaires à une large échelle

Pour autant, les circonstances particulières dans lesquelles se déroulent ces élections européennes peuvent justifier un tel choix tactique (cf notre texte dans le BI pré-CPN). Néanmoins, comme toujours, le principal enjeu du front unique est moins quel front unique nous faisons, que ce que nous y faisons. Si nous estimons qu’il peut y avoir une utilité à renforcer le bloc de la gauche antilibérale contre le bloc de la gauche libérale, la principale raison pour laquelle nous faisons cette alliance doit être de renforcer les idées anticapitalistes, communistes et révolutionnaires, à une large échelle. C’est le sens que donnait à une telle alliance Lénine dans La Maladie infantile du communisme quand il évoquait l’exemple de l’Angleterre en 1920:
« [En faisant cette alliance électorale,] je pourrais expliquer, de façon à être compris de tous, non seulement en quoi les Soviets sont préférables au parlement et la dictature du prolétariat préférable à celle de Churchill […] mais aussi que mon intention, en soutenant [les réformistes] de mon vote, est de [les] soutenir exactement comme la corde soutient le pendu; que le fait de rapprocher les [réformistes] de laccession au gouvernement prouvera que jai raison, mettra les masses de mon côté, hâtera la mort politique des [réformistes] ».
Notre but doit rester de défendre notre stratégie et notre programme à travers cette alliance, peut-être pas en utilisant un vocabulaire aussi belliqueux que celui de Lénine… Mais en osant afficher nos couleurs haut et fort. Et par ailleurs, nous serons d’autant plus audibles de la base de la FI, et même plus largement de notre classe, que nous aurons joué le jeu de l’unité. Mais cela implique tout de même de défendre nos positions ! À ce titre nous devons éviter deux écueils :

– Critiquer la FI sans être capable de nous lier à ses militantEs à la base et sans comprendre sa nature et son fonctionnement, ce qui revient à en appeler à une critique atemporelle et inchangée des institutions à partir d’exemples historiques … Qui ne convainquent que les convaincuEs.
– Faire l’alliance avec la FI pour la renforcer, sans tenir sur la deuxième jambe de notre slogan, être trop unitaire et pas assez révolutionnaire.
Entre les deux, nous pouvons avoir un discours qui soit à la fois ouvert, audible largement, et critique et volontariste dans la construction de notre projet. Quelques pistes qui ne sont bien sûr pas exhaustives :
1/ Sur le plan stratégique : Renforcer le pôle anticapitaliste face au pôle antilibéral.
Il s’agit d’aller contre l’effet de « floutage » de la FI qui reprend à son compte la « révolution  citoyenne » et parle de « lutte du peuple contre l’oligarchie », en développant au contraire notre analyse matérialiste de la lutte des classes. Nous devons expliquer que le projet de Mélenchon est antilibéral et non anticapitaliste (quand bien même il peut parfois utiliser ce terme dans ces discours), qu’il n’est pas dans une perspective réformiste au sens classique du terme mais qu’il défend un capitalisme à visage humain. La FI cherche à conquérir le pouvoir politique par les urnes sans se donner les moyens de conquérir le pouvoir économique. En effet, en favorisant la délégation de pouvoir, et avec sa structure gazeuse, elle ne cherche pas assez à s’appuyer de manière active sur l’auto-organisation de notre classe, qui sera la seule à pouvoir résister aux contres-attaques des capitalistes, si un vrai gouvernement de rupture venait à voir le jour. C’est pourquoi un tel projet est voué à l’échec sur le plan stratégique (car il faut s’en prendre à la propriété privée des moyens de production, car il y a un désaccord entre nous sur la nature de l’État, …), ce qui mettrait immanquablement la FI à la croisée des chemins (sans préjuger de ce qu’elle ferait, ce qui montre précisément notre honnêteté dans le débat).
2/ Sur le plan programmatique : Montrer que notre stratégie est conséquente vis-à-vis de notre programme, et par contraste que celle de la FI ne lest pas vis-à-vis de sien.  
Le programme « L’Avenir en commun » a été un élément déterminant du succès de la FI : il est mis en avant comme un gage de sa crédibilité, ainsi que comme une marque de son sens des responsabilités. Il a su convaincre à une large échelle du projet de la FI, notamment parce qu’il construisait des propositions en positif. Pourtant, il repose tout entier sur le pari d’une relance keynésienne, qui engendrerait une croissance qui elle-même permettrait de financer un tel programme (voir notre contribution précédente). Nous devons expliquer pourquoi nous faisons l’analyse économique que ce pari est impossible dans le cadre du capitalisme, et donc que l’entièreté du programme de la FI repose en fait sur une illusion.
3/ Sur les deux plans : Défendre un programme transitoire qui aille au-delà du programme d’urgence sur lequel nous pourrions tomber d’accord avec la FI.
À contre-courant de la perception habituelle, le projet le plus cohérent est donc le nôtre. Entre un capitalisme qui ne pourra jamais gérer les crises qu’il engendre et un antilibéralisme qui sera vite mis face à ces propres contradictions, c’est paradoxalement le projet révolutionnaire qui est le plus crédible. Cela n’empêche pas que nous devions le renforcer. Si nous arrivons à nous mettre d’accord avec la FI sur un programme d’urgence, nous devons également élaborer et mettre en avant un programme transitoire, qui contienne nos éléments stratégiques, et qui permette de faire le pont entre revendications immédiates et revendications maximales, donc qui convainque de la nécessité de la révolution. Un programme qui laisse entrevoir comment inventer une économie sans concurrence et sans profits, basée sur la planification et l’auto-gestion, et non pas une simple politique keynesienne qui se contente de taxer les profits. Une programme qui défende la gratuité et réfléchisse à l’extension du champs de la sécurité sociale serait par exemple un premier pas en ce sens.

• Les limites de notre tribune
Notre tribune a malheureusement été en-deçà de ces différentes exigences, et les amendements que nous avons défendus aux CPN n’ont pas été adoptés : de façon significative, nous ne parlons pas de ce qui nous distingue de la FI. Il ne s’agit pas là de nous auto-affirmer de manière sectaire, mais bien d’expliquer largement pourquoi, malgré nos propres positions que nous rappelons, nous faisons une telle alliance. Contrairement à ce que nous croyons, notre radicalité n’est pas qu’une faiblesse ! L’ancienneté de notre organisation, la force de ses positions historiques, l’exemplarité de ses convictions, pèsent dans le rapport de force, et les gommer, loin de nous présenter comme un partenaire plus respectable, nous affaiblissent en réalité. En particulier par exemple auprès de notre base de sympathisantEs. De plus, dans cette tribune, nous présentons quasiment le front unique électoral comme une nécessité stratégique atemporelle, disant que les luttes et les combats de notre classe doivent entrer au parlement européen, ce qui donne l’impression que notre ligne serait une traduction électorale de celles-ci. Cette formule, peut-être pensée pour tendre la main à la FI, aurait pu se comprendre si nous avions réaffirmé notre propre stratégie, mais ne l’ayant pas fait, nous donnons l’impression d’être sur la même ligne que la FI… Car celle-ci n’a aucun problème à reconnaître l’importance des luttes dans le rapport de force, et de la traduction électorale de celles-ci, c’est même une de ses particularités. Avec ce discours, non seulement nous n’existons pas, mais nous renforçons le brouillage à une large échelle…

  • Conclusion
    Il n’est pourtant pas trop tard : cette tribune n’est que l’acte I des élections européennes. Nous avons de nombreux mois pour élaborer et renforcer notre positionnement : grâce à la commission programme pour les élections européennes adoptée au dernier CPN, aux RNC qui permettront d’alimenter la discussion entre nous, notamment via les BI de l’organisation, etc. Nos élaborations doivent murir et servir à renforcer notre projet. Elles devront également alimenter nos directions et nos portes-paroles. Ce que signifie cette tribune, c’est surtout que nous avons beaucoup de travail devant nous en tant qu’organisation communiste et révolutionnaire !

[1] Même s’il a aussi des dimensions tactiques.

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